Commentaire du texte d'Alexandre
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Rappelons que les propos de l'auteur s'appuient sur le syllogisme suivant : notre QI diminue depuis 10 ans ; l’IA croit rapidement donc l’humain sera bientôt dépassé voire assujetti. Pour éviter ce risque, il faut en faire une priorité politique.
- « L’augmentation du QI depuis un siècle dans nos sociétés ». Laissons de côté la question de savoir de quelles sociétés parle l’auteur, même si cela vaudrait la peine d’y regarder de plus près et interrogeons-nous sur les causes de l’augmentation du QI. La principale cause qui nous est proposée est le caractère stimulant de l’environnement avec une meilleure éducation (parents plus attentifs, allongement d’étude) et un meilleur accès à l’information. Notons au passage que l’égalité homme-femme est proposée comme facteur d’augmentation du QI sans qu’on sache bien quel est le lien causal possible. Puisque la tendance s’inverse, il faut croire que les causes ont disparues. Or, il n’en est rien. Le nombre d’étudiants accédant aux études supérieurs ne cesse de croître dans les sociétés occidentales, Internet n’a jamais autant diffusé d’informations au point qu’on parle d’infobésité.
- Pourquoi alors l’effet Flynn s’inverse-t-il ? Il n’y aurait pas de biais méthodologique de la mesure puisque, nous dit l’auteur, l’évolution est trop rapide est et non spécifique à un pays. J’invite les étudiants curieux à vérifier que les items du QI n’ont pas changés depuis un siècle et que lorsqu’on parle de test de QI, on parle bien d’un seul et même test. Ils découvriront sans étonnement que ce n’est pas le cas. Les tests de ce type sont sensibles aux différences culturelles, notamment celles liées à l’environnement scolaire ou aux caractéristiques des populations étudiées. L’instrument de mesure évoluant, n’est-il alors pas normal que la mesure évolue ? 10 points nous dit l’auteur, c’est beaucoup. Quelle certitude sur la précision d’un instrument qui a connu de multiples versions en un peu plus d'un siècle et dont on sait que l’objet de sa mesure n’est pas univoque. Voilà qui mériterait d’être creusé. Même si le résultat invoqué est avéré, ce qui est loin d’être le cas puisqu’aucune étude n’est citée, le biais de mesure n’est pas à exclure, bien au contraire. Les causes de cette diminution sont, d’après l’auteur de deux ordres : Internet et les réseaux sociaux d’un côté et des polluants chimiques de l'autre. Le premier argument est en contradiction avec le fait que Internet, principale source de l’infobésité, est aussi pour l’auteur, une des causes invoquées pour l’augmentation du QI. Le deuxième argument n’est pas étayé et doit être vérifié. Si on s’en tient au texte, le moins qu’on puisse dire c’est que les arguments ne résistent pas à l’examen. Nous pouvons aussi nous servir de nos connaissances pour évaluer un texte. Derrière l’inquiétude de l’auteur, il y a un implicite. Les causes n’ayant pas disparues comme nous l’avons vu à l’examen du point précédent, on s’attend à ce que le QI poursuive sa croissance. Or un tel présupposé méconnait le principe de construction d’un test de QI. Il est fait pour suivre une courbe de Gauss. La distribution du test n’est pas le résultat d’observations, c’est une caractéristique structurale du test. Cette courbe nous dit deux choses importantes. La note la plus fréquente est la moyenne et plus on s’écarte de la moyenne moins les notes sont fréquentes. La courbe étant symétrique même si la moyenne se décale vers les notes hautes, elle se heurtera forcément à un plafond lié à la symétrie de la courbe sauf à changer d’instrument de mesure rendant tout comparaison vaine. Dans une distribution de Gauss, le seul moyen de voir la moyenne se décaler vers les notes hautes dans un même intervalle de variation est de réduire la largeur de la courbe, donc la diversité autour de la moyenne et par voie de conséquence le caractère discriminant du test. Le paradoxe de l’effet Flynn, c’est que s’il existe, tout le monde finit par avoir une note haute. Le test ne veut alors plus rien dire et il faut en changer, rendant la comparaison et l’observation de l’effet Flynn impossible.
- Si on s’en tient au seul examen des arguments de l’auteur, les deux précédents paragraphes nous amènent à la conclusion que les causes de la croissance du QI n’ont pas disparues et que l’inversion de l’effet Flynn n’est pas avérée. Voilà qui rend le risque de dépassement par l’IA bien moins inquiétant. Interrogeons-nous quand même sur quelques affirmations de l’auteur à ce sujet. « Il est impossible d’interdire l’IA » est une affirmation qui mérite d’être nuancée. La société s’est bien emparée de ces questions à travers les débats sur les données personnelles, pas simplement leur recueil ou leur stockage, mais également le traitement intrusif que de plus en plus de technologies sont tentées de nous imposer. Ce débat, dont s’est emparée la société, est bien celui de la régulation des usages de l’IA. Sur ce point on ne peut qu’être d’accord avec l’auteur, nos politiques doivent en faire, sinon une priorité, au moins un sujet majeur. Il en va de même des fantasmes transhumanistes évoqués par l’auteur et qui eux constituent, comme les mauvais usages de l’IA, une réelle menace pour « notre autonomie en tant qu’espèce ». Nulle n’est besoin de cauchemarder une hypothétique greffe d’ordinateur, pour déjà voir se réaliser le pilotage des opérateurs par une machine comme dans les centres d’expédition de sociétés de vente par correspondance bien connues.
En conclusion la controverse soulevée par l’auteur est sans objet, sauf à démontrer que la baisse du QI est réelle. Non, nous n’avons pas à nous inquiéter de la baisse de notre QI. Ouf, nous n’aurons pas besoin de nous faire greffer un cerveau pour résister à la méchante IA qui nous dépasse. On en retiendra cependant une problématique centrale, celle du libre arbitre de l’homme face à des processus de traitement de et de diffusion de l’information opaques. Une grande partie de la réponse à ce problème passe par l’éducation à la pensée critique. En suivant ce cours, vous êtes sur le bon chemin.
Pour ceux qui veulent aller plus loin, je recommande la lecture de Juffé, M. (2017, septembre 22). Laurent Alexandre, prophète du QI artificiel [Blog]. Consulté 2 novembre 2017, à l’adresse https://comptoir.org/2017/09/22/laurent-alexandre-prophete-du-qi-artificiel/